La trajectoire CRREM des actifs immobiliers est devenue un KPI ESG incontournable, pour lequel la décarbonation de l’approvisionnement énergétique constitue un levier clef. Les réseaux de chaleur urbains se développent et il est parfois obligatoire de s’y raccorder. Or, certains ont un mix énergétique insuffisamment vert pour contribuer à la trajectoire CRREM visée. Dès lors, quel choix contribue le plus à l’intérêt général et à la limitation du réchauffement climatique, ainsi qu’aux intérêts de la Maîtrise d’Ouvrage ?
Le CRREM (Carbon Risk Real Estate Monitor) Évaluer, gérer et éviter le risque carbone
Développé sous la houlette de l’IIO INSTITUT FUR IMMOBILIENOKONOMIE GMBH, institut autrichien, avec le soutien financier de la Commission Européenne entre 2018 et 2021, le CRREM s’est depuis imposé comme un outil de référence pour permettre aux acteurs de l’immobilier de fixer et de suivre leurs trajectoires de décarbonation.
Le CRREM propose aux propriétaires immobiliers et parties prenantes concernées des voies de décarbonation spécifiques à chaque pays et aux types de biens, afin d’évaluer, de gérer et d’éviter le risque carbone. Il permet d’objectiver la contribution des projets au maintien du réchauffement climatique sous les 2°C ou 1,5° d’ici à 2050.
« Outre la possibilité pour les investisseurs de définir leurs propres objectifs sur la base des voies disponibles, nous avons mis au point un outil qui permet de corréler les données de consommation spécifiques aux biens avec ces objectifs. Les investisseurs ont désormais à leur disposition un logiciel capable d’apporter, de manière efficace, une plus grande transparence des risques associés à la transition. Ils peuvent également calculer ce que l’on appelle le risque « d’échouement » – le seuil d’émissions au-delà duquel le bien dépasse sa juste part d’émissions associées à la trajectoire choisie », explique Sven Bienert (source : https://cordis.europa.eu/article/id/422267-real-estate-decarbonisation/fr). Les résultats sont également présentés en termes monétaires, ce qui est extrêmement pertinent pour éclairer les décisions d’investissement.
De fait, un nombre croissant de projets – et disons-le, l’immense majorité de ceux traités par TERAO – mobilise le CRREM afin de choisir et dimensionner les scénarios de construction, rénovation et d’exploitation les plus favorables à une contribution limitée au réchauffement climatique. Cet outil est également devenu un marqueur RSE et un indicateur ESG clef dans l’immobilier.
Les réseaux de chaleur urbains, dispositifs (pas assez ?) vertueux en soi ?
Selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA), en 2022, les réseaux de chaleur couvraient environ 10 % de la demande mondiale de chaleur dans les bâtiments. Ce chiffre devrait augmenter pour atteindre 14 % d’ici 2030 dans le cadre du scénario Net Zéro Émissions (NZE).
En France, en 2023, 50 065 bâtiments sont raccordés à des réseaux de chaleur, situés principalement dans les grandes villes et agglomérations, mais aussi de plus en plus dans les villes moyennes et petites.
Les réseaux de chaleur couvrent encore une part modeste de la consommation globale de chaleur en France. Cependant, ils ont un potentiel élevé : le pays dispose de ressources locales abondantes (biomasse, chaleur fatale, géothermie) qui peuvent être davantage mobilisées à travers ces réseaux.

Classement des réseaux vertueux :
- En 2023, 639 réseaux (63,9%) sont classés comme vertueux (taux EnR&R > 50 %).
- Ces réseaux représentent plus de 83 % de la longueur totale, 84 % des bâtiments raccordés et 79 % de la chaleur livrée.
Objectifs futurs :
- Pour 2030 : viser 68 TWh de chaleur livrée par les réseaux dont 75 % renouvelable
- Pour 2035 : 90 TWh, avec 80 % renouvelable
(Source « Enquête des réseaux de chaleur et froid » par FEDENE, édition 2024)
Les réseaux de chaleur permettent également d’exploiter la chaleur dégagée par certains processus industriels et de tirer parti de la chaleur fatale, comme au niveau de datacenters ou des eaux usées, mais cela reste marginal.
Il faut cependant noter que le mix énergétique reste très variable d’un réseau à l’autre. Si le recours aux énergies fossiles (charbon, fioul, gaz) est à la baisse ces dernières années, certains réseaux les mobilisent encore de manière significative.

La part du gaz, notamment, reste pénalisante dans ce mix, concernant les émissions de CO² associées à la production d’énergie distribuée par les réseaux.
Le déploiement de ces réseaux, qui implique des investissements lourds, est a priori vertueux et entend répondre à l’intérêt général. Leur rendement est relativement bon, et leurs avantages par rapport aux solutions de production de chaleur décentralisées reposent sur la centralisation de la production de chaleur à l’échelle urbaine, dans des chaufferies industrielles performantes, entretenues et surveillées ; la centralisation des nuisances liées à cette production ; la mobilisation de gisements d’énergie renouvelable difficiles à exploiter en zone urbaine à l’échelle des bâtiments : géothermie, bois, chaleur fatale de l’industrie ou des usines d’incinération des déchets… ; le fonctionnement en cogénération ; la qualité de l’air avec des rejets contrôlés ; la stabilité des prix.
Les réseaux de chaleur permettent également de réduire les risques encourus par les territoires face à l’évolution du paysage énergétique mondial.
Ils restent des solutions lourdes qui représentent des investissements importants et sont adaptés aux zones urbaines à fortes densités de besoins et d’usages.
La Cour des comptes regrettait en 2021 qu’ils ne soient pas suffisamment exploités au regard de la transition énergétique.
A telle enseigne que selon l’article L712-3 du code de l’Énergie, le raccordement au réseau de chaleur, dès lors qu’il existe, est obligatoire pour les bâtiments neufs et anciens (en cas de travaux de rénovation majeurs), si la puissance du système de chauffage ou de production d’eau chaude dépasse 30 kilowatts.
Si l’intention de la puissance publique est louable, quels sont les impacts de cette obligation (ou de la possibilité de raccordement en l’absence d’obligation) en matière de trajectoires carbone ?
Trajectoire CRREM ou réseaux de chaleur / froid urbains… il faudrait ne pas devoir choisir !
… et pourtant, c’est là que parfois le bât blesse : en effet, si la question du raccordement à un réseau existant ne devrait pas se poser (nonobstant son caractère compétitif), la composition de son mix énergétique et, partant, son taux d’émissions de CO², peut parfois s’avérer pénalisante pour le Maître d’Ouvrage qui cherche à inscrire son actif dans une trajectoire CRREM performante !
Dans des cas assez nombreux, le constat est ainsi fait que la mobilisation de PAC (Pompes à Chaleur), par exemple, offre un bilan d’émissions carbone favorable et donc une meilleure contribution à la limitation du réchauffement climatique, que le réseau disponible avec ses performances carbone en l’état.
Ce cas de figure cornélien, s’explique par le temps long nécessaire au verdissement des réseaux qui, s’ils s’inscrivent généralement dans cette volonté, ont besoin de temps – et ne respectent ou ne publient pas forcément leurs propres trajectoires de décarbonation.
Dès lors, le MOA fait face à un dilemme voire un choix cornélien : chercher à déroger à l’obligation de raccordement, ou ne pas y souscrire si celui-ci reste optionnel, afin d’optimiser sa trajectoire CRREM, ou se retrouver (au moins temporairement) pénalisé par un taux d’ENR non optimal…
Sachant que des considérations de CAPEX / OPEX entrent évidemment aussi en ligne de compte !
Pour certains Maîtres d’Ouvrages, il n’est pas question de dégrader un KPI ESG aussi important que le CRREM qui conditionne leur reporting carbone ; pour d’autres (souvent liés de près ou de loin à la puissance ou aux organisations publiques), le raccordement au RCU est un acte de foi …
Comment trancher ce débat ? Est-il possible d’intégrer dans la courbe CRREM une perspective fiable de verdissement du RCU concerné ? Comment alimenter de manière constructive ce débat lorsqu’il émerge, et implique souvent diverses parties prenantes – typiquement, des opérationnels qui ont des visions parfois différentes de managers de la durabilité au niveau de la vision consolidé des impacts RSE et carbone d’un parc ou d’un patrimoine ?
Les équipes de TERAO qui accompagnent nos Clients dans ces démarches, peuvent notamment élaborer dans ce type de cas de figure une matrice d’aide à la décision, en analysant, entre autres, l’impact du verdissement prévu ou potentiel du réseau par rapport aux autres leviers d’amélioration intégrés en phase de conception-réalisation et d’exploitation. Ce type d’approche permet à la fois d’effectuer le meilleur choix au regard des données connues à un instant « T », mais aussi de prévoir les moyens d’optimiser la trajectoire CRREM d’un actif en cas de sous-performance du concessionnaire, et de l’inscrire dans une vision de moyen / long terme en termes de carbone.
Comme en beaucoup d’autres matières, il s’agit de gérer le plus finement possible une situation évolutive caractérisée par des risques et des opportunités, et d’intégrer aux projets une gestion du risque RSE / ESG / carbone et technico-économique, voire politique. Sachant que rien n’est irréversible … mais que chaque action actuelle ou future possède son propre bilan carbone !