Décarbonation de la construction et RE2020 : l’interview de Renaud Thiard, Groupe Nexity

Depuis novembre 2020, TERAO accompagne le groupe NEXITY dans la déclinaison opérationnelle des objectifs de sa Trajectoire Climat et de Réduction Carbone, appliqués à l’ensemble de ses opérations de promotion, résidentielles et tertiaires. Cette mission permet de déployer, année après année, une stratégie RSE globale, outillée et précise, au service de la décarbonation des bâtiments du Groupe. Renaud Thiard, Directeur technique en charge de la stratégie carbone du Groupe Nexity, répond à nos questions et partage avec vous ses retours d’expérience sur cette collaboration fructueuse.

Renaud Thiard : Fin 2018, le groupe s’est engagé à réduire d’environ 30% ses émissions à horizon 2030, sur une base 2015.

Cette trajectoire a ensuite été validée par le SBTI (Science Based Target Initiative), association financée par le WWF et l’ONU qui aide les entreprises à se fixer des cibles de réduction carbone scientifiquement fondées. L’étape suivante était de déterminer comment y parvenir, sachant que pour Nexity, 98% du Bilan Carbone de l’entreprise provient du scope 3, au travers des bâtiments que l’on conçoit en tant que promoteur. Notre grande chance a été de bénéficier de l’expérimentation E+C-, qui a préfiguré la RE2020, en fixant précisément la méthodologie à suivre pour faire le bilan carbone des bâtiments.

Réduire de 30% le bilan carbone d’un bâtiment réinterroge l’acte de construire, la façon de choisir les systèmes énergétiques, et pour y parvenir nous souhaitions identifier des solutions au sein de nos métiers qui soient réalistes, et que les principaux risques soient maîtrisés, notamment sur les budgets et les plannings des projets.

Nous avons missionné TERAO en ce sens, afin de définir et de structurer ces solutions, en menant des groupes de travail pour identifier les meilleurs leviers bas carbone, de façon maîtrisée en termes d’économie et de gestion de projets.

Renaud Thiard : Des éléments clef de méthode sont ressortis de cette mission : notre Guide interne des solutions bas carbone opérationnelles, avec une cinquantaine de fiches qui contiennent chacune une description de chaque solution, son impact carbone, l’impact sur les coûts, des références, des points de vigilance, des avantages et des inconvénients.

Aujourd’hui, lorsqu’on présente ce guide à des décideurs, cela leur parle, car ce guide est concret et facilement appropriable. Il permet de véritables arbitrages sur les leviers bas carbone en fonction de leur rapport coût / bénéfice. Ce travail a été apprécié de toutes les parties prenantes car, d’un point de vue opérationnel, l’ordre de grandeur de coût est bien appréhendé.

Pour mettre en musique ce guide, nous avons réalisé ensemble une Calculette Carbone, qui permet de choisir les leviers que l’on souhaite activer pour sécuriser une performance donnée. Ce logiciel est aujourd’hui utilisé comme un outil de chiffrage pour faire des bilans carbone le plus en amont possible, notamment au moment des comités d’engagement, dès la faisabilité des projets, avant même le dépôt de PC.

Renaud Thiard : Beaucoup d’énergie a été mise en œuvre pour déployer ces outils. Tous les trimestres, nous menons des « clôtures carbone », lors desquelles nous mesurerons le poids carbone moyen des opérations en cours, comme nous le ferions pour n’importe quel indicateur financier. Si les équipes n’estiment pas leur bilan carbone, on applique à leurs projets des ratios forfaitaires pénalisants. Chaque filiale a ainsi un reporting et des objectifs carbone à suivre. En parallèle, nous déployons des formations aussi bien au Guide qu’à l’utilisation de notre calculette carbone.

Aujourd’hui, après un an de retour d’expérience, Carbone 20 est utilisé sur une majorité de nos opérations.

Renaud Thiard :  Oui, en effet. Cet outil est utilisé à l’origine pour des raisons de reporting, mais il a également vocation, notamment sur des petits projets, à intervenir comme un outil d’aide à la décision pour sécuriser une performance carbone. Nexity a pris pour engagement de surperformer la RE2020 : au fur et à mesure que nous déposons des Permis de Construire, nous souhaitons qu’en moyenne leur bilan carbone soit très sensiblement inférieur au seuil de la RE2020.

Renaud Thiard : Exactement, et notre calculette est bien l’un des meilleurs outils pour ce faire, surtout pour le choix du mode constructif. Si, par exemple, on a du mal à identifier les solutions pour qu’un projet soit compatible avec un Ic Construction 2025, notre outil permet de le faire, en travaillant sur la compacité du bâtiment, le choix de la structure, la maçonnerie, la décarbonation de certains matériaux de second œuvre : tout cela donne des pistes et, également, une idée de l’impact économique. Et cela rassure.

Renaud Thiard :

Nous sommes résolus, pour atteindre des objectifs ambitieux de décarbonation, à agir très tôt dans le processus de décision des opérations : typiquement, entre la faisabilité et le dépôt de PC. On fige alors les principaux choix constructifs et énergétiques. Cela avant même de réaliser l’ACV réglementaire.

Sur la partie énergie, nous pré-qualifions également les solutions bas carbone en amont. Le vecteur le plus efficient pour cela, sauf si l’on a un réseau de chaleur urbain (RCU), est la pompe à chaleur (et dans certains cas la géothermie).  Afin de déployer cette solution, nous travaillons main dans la main avec notre service achats pour choisir les acteurs de la pompe à chaleur qui proposent des solutions intéressantes en logement, avec un impact bénéfique et abordable sur le carbone-énergie.

Nous sommes donc très fortement mobilisés pour déployer nos solutions via des partenariats industriels, par la formation de tous nos directeurs à ces pratiques, par la prise de conscience de l’impact carbone en regard du surcoût et des risques associés.

Renaud Thiard : Au global, oui. Mais c’est plus ou moins évident selon les projets. Pour l’instant, nous sommes optimistes. Mais atteindre nos objectifs sur l’Ic Construction reste plus compliqué que pour l’Ic Energie, dans la mesure où le seuil 2025 reste encore difficile à atteindre à coûts maîtrisés. Et il reste parfois compliqué, au moment du dépôt de PC, de connaître avec fiabilité l’Ic Construction et de se positionner précisément par rapport aux différents seuils.

Sur cet aspect, nous avons une stratégie de déploiement d’un mode constructif modulaire en ossature bois conçu en interne par nos équipes comme un produit « standard ». Nous le déployons le plus massivement possible dans nos filiales. Ce mode constructif a l’avantage de permettre d’atteindre le seuil 2028 de la RE2020.

Afin de bien maîtriser ce mode constructif, des partenariats sont en cours d’élaboration avec des industriels du bois et les charpentiers, afin de sécuriser les savoir-faire et la matière première.

Renaud Thiard : Oui, en effet, sur la moyenne de la production de logements neufs et réhabilités, en considérant comme indicateur carbone global la somme Ic Energie + Ic Construction. Et l’on s’aperçoit que nous parvenons à aller au-delà de l’objectif que nous avions fixé sur l’Ic Energie, mais que le défi est plus dur à relever pour ce qui est de l’Ic Construction.

En effet, là où la réduction de l’Ic Energie repose assez « simplement » sur le remplacement des chaudières gaz par des solutions électriques thermodynamiques ou EnR, limiter l’Ic Construction résulte d’un travail complexe de mise en œuvre et d’optimisation touchant tous les corps d’état. Remplacer une structure béton par de l’ossature bois, par exemple, réinterroge profondément l’acte de construire.

L’atteinte du seuil 2025 voire 2028 de la RE2020 pour l’Ic Construction est un challenge qui se résout au cas par cas en activant divers leviers. Ceux-ci vont de la simplification du bâtiment et de sa façade, au choix des modes constructifs en passant par la sélection des matériaux de second œuvre et la frugalité des lots techniques. En cela, le Guide des Solutions et sa Calculette Bas Carbone nous aident beaucoup car ils permettent à chaque opération d’identifier son propre mix pour atteindre un objectif donné.

Certains leviers se retrouvent ainsi façon récurrente sur nos opérations. Ce sont ceux dont le rapport coût / bénéfice, c’est-à-dire le prix à la tonne de CO₂ évitée, est le plus faible.

En guise d’exemple, nous pouvons citer l’usage de maçonnerie (brique monomur et parpaing) en remplacement du béton, ainsi que le recours au bois constructif de façon partielle, en attique ou sur façade non porteuse, etc.

Par ailleurs, de nombreuses bonnes pratiques bas carbone sont en train de s’installer, telles que le recours au chappes liquides ou anhydres, l’utilisation de peintures biosourcées, le remplacement du parquet stratifié par du contrecollé, ou encore l’usage du PVC recyclé…

Ceci implique un travail étroit avec notre direction des achats afin de référencer et encourager les fournisseurs les plus vertueux.

Renaud Thiard : Tout à fait. La grande force de notre organisation est de pouvoir agir tant sur l’impact environnemental que sur les coûts travaux afin de promouvoir le « Bas Carbone Abordable ». Ingénierie, Achats, Nouveaux Modes Constructifs et Déploiement Bas Carbone travaillent de concert au sein de la Direction de la Construction pour atteindre ce double objectif.

Renaud Thiard : Concernant l’adaptation au changement climatique, nous utilisons un outil de l’OID pour vérifier le niveau de risque climatique de nos futures opérations.  Nous nous attachons également à bien sécuriser le seuil des degrés heure d’inconfort de la RE2020, y compris dans la région méditerranéenne. Cela s’obtient par un travail sur l’orientation, les ouvertures et les matériaux du bâtiment ainsi que par l’ajout de brasseurs d’air.

Renaud Thiard : Exact, et cela peut d’ailleurs aller en contradiction avec les objectifs de décarbonation. Dans la région de Marseille, il est par exemple plus difficile qu’ailleurs d’atteindre le seuil 2025 sur les projets traditionnels. Mais la profession évolue rapidement : les fournisseurs de brasseurs d’air réalisent leurs FDES, et il y a aussi une avancée majeure liée aux systèmes d’occultations. Grâce à une application interne, nommée Eugénie, nous sommes notamment capables d’asservir l’ouverture des volets au moment de la journée, avec ce que l’on appelle la gestion crépusculaire. Tout ceci mis bout à bout permet d’améliorer sensiblement le confort en cas de forte chaleur.

Renaud Thiard : Comme je l’ai dit, nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux de surperformance de la RE2020 sur les permis de construire. En 2022, nous avons atteint notre objectif : nous allons donc le renforcer sur 2023 et 2024. L’enjeu est de tenir notre trajectoire de décarbonation, garder un temps d’avance et être prêts en 2025, lorsque les seuils seront renforcés.

Avec la RE2020, les optimums technico-économiques sont bousculés tous les 3 ans par les enjeux carbone : à nous d’anticiper ces évolutions de façon prospective puis de massifier les solutions qui le méritent, en co-construction avec nos partenaires.

Renaud Thiard : Tout à fait. Dans ce cadre-là, les outils dont nous disposons actuellement nous sont très utiles. Avec un an de retour d’expérience, nous identifions déjà de potentielles optimisations bas carbone qui n’avaient été qu’effleurées en 2021. C’est notamment le cas des chauffe-eau solaires, et du béton bas carbone, pour lesquels des progrès considérables ont été effectués en l’espace d’une année.

Renaud Thiard : En premier lieu, j’ai trouvé chez TERAO une capacité très appréciable à comprendre notre problématique et nos enjeux, quitte à passer beaucoup de temps à clarifier le périmètre d’une mission pour finalement produire une offre d’accompagnement sur-mesure.

Tout au long de l’exécution d’une mission, Il y a également chez TERAO une excellente aptitude à conduire des groupes de travail et à maîtriser le langage du maître d’ouvrage. En somme, à être crédible vis-à-vis des interlocuteurs techniques.

Enfin, TERAO sait parfaitement simplifier un problème complexe, le traduire en indicateurs et le traiter de façon analytique, pour mieux parler à des décideurs. À cela s’ajoute une expertise avérée de veille technologique permettant d’élargir de façon innovante l’éventail des solutions bas carbone.

D’une manière générale, TERAO apporte un éclairage pragmatique : plus que des « beaux discours », on est dans l’action !